Aya – Chapitre 1

Je n’ai jamais voulu être confronté à la réalité. Je ne sais pas pourquoi. Je pensais à cela en regardant au travers de la vitre le paysage défiler à toute vitesse. La voix dans le haut-parleur un peu grésillant annonça que le train atteindra le terminus d’ici quelques minutes. Cela voulait dire que ma nouvelle vie n’allait pas tarder à commencer.

Je ne vais pas vous expliquer la raison pour laquelle, je me suis retrouvé dans ce train, ni celle qui a conduit au fait que je me rende à Paris. Tout ça n’a guère d’importance et est même un peu ennuyant à raconter. Tout ce que je peux dire, c’est qu’il était seulement question que je poursuive mes études ici et que, par un concours de circonstances plus ou moins complexes à expliquer, c’était ma tante qui avait accepté de m’héberger chez elle.

Je ne la connaissais pas. D’elle, je ne savais qu’une seule chose, c’était qu’elle avait été là le jour de mon baptême. On ne m’avait donné ni photo, ni description précise d’elle et je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. La seule chose qu’on m’avait dite, c’est que ce n’était pas un problème. J’en avais déduit qu’il y aurait une sorte de miracle de l’évidence qui ferait que je la reconnaîtrais sans peine comme la sœur de mon père.

La famille n’était pas une donnée comme pour la plupart très liant. Au contraire, il fallait reconnaître qu’il y avait une constante dans la distance que chaque membre entrant dans la définition classique ou étendue de “membre de la famille”. La famille “soudée” était un concept : c’était tout.

Je commençais à préparer mes affaires pour sortir assez rapidement du wagon. Je regardais mon téléphone pour contrôler l’heure : c’était à une minute près, l’horaire d’arrivée annoncé sur le billet. Au même moment, il se mit à vibrer : SMS.

“Je suis arrivée ! je t’attends à l’extrémité du quai !”

Pas de signature. L’absence de signature ne me choqua pas. De toute évidence, il s’agissait d’un message de ma tante et j’aurais été assez surpris que la forme soit différente.

Le train ralentit et je me suis dirigé vers la sortie. Les gens étaient plutôt silencieux, le regard à la fois impatient et fatigué. La porte s’ouvrit et je mis donc pour la première fois, le pied sur le quai d’une gare parisienne. Dans la réalité physique, il n’y avait rien de très spécial mais dans la tête, pour moi, cela représentait quelque chose. En revanche, quant à savoir quoi, je n’en avais aucune idée.

J’ai levé les yeux et tourné la tête un peu à droite, un peu à gauche pour savoir dans quel sens, il fallait marcher mais à vrai dire, ce n’était pas nécessaire car il suffisait de suivre les gens. J’ai sorti la poignée de ma valise à roulettes qui me permettait de la traîner derrière moi et j’ai commencé d’avancer. Dire que j’étais un peu nerveux aurait été un peu surfait, mais j’étais naturellement un peu anxieux quant à découvrir qui était cette tante dont je ne savais rien.

J’ai parcouru une centaine de mètres en scrutant les visages des gens qui stationnaient en bout de quai. D’une main, j’ai manipulé mon téléphone pour relire le message dans l’espoir vain que cela me donnerait un indice pour deviner qui pouvait-elle être mais, il s’est avéré que ce geste était futile.

Elle était là, à côté d’un distributeur de boisson. Il était difficile de ne pas la remarquer car elle faisait “tâche” par rapport au reste du décor. Ce qui m’a marqué le plus en premier lieu, ce fut son sourire. En second lieu, son physique. Pourquoi ? c’était la sœur de mon père et je m’attendais en toute bonne foi à trouver une femme peu ou prou du même âge. Mais voilà, en fait, je me trompais totalement.

“Maxime !”

Tous les regards se sont tournés vers moi. J’ai souri un peu bêtement et j’ai répondu par un signe de la main. Dire que l’attention subite dont je faisais l’objet était amicale aurait été d’une naïveté sans nom. Non. Lorsque je découvris ma tante pour la première fois, je compris en une seconde la signification du sentiment d’être envié, ou jalousé.

Je n’ai pas su lui donner un âge exact. Peut-être, vingt ou vingt-cinq ans, tout au plus. Couleur de cheveux, claire sans qu’il soit possible de déterminer exactement si elle était blonde, rousse ou châtain. Des yeux verts, grands, fichus de petites étincelles. Des lèvres presque invraisemblables et un nez qui dans sa finesse de trait, l’était tout autant. Et surtout, une voix. Ni aiguë, ni grave. Une voix qui, même dans la hauteur dans laquelle elle pouvait la pousser pour attirer l’attention, ne la rendait pas déplaisante.

“Désolée, j’ai presque failli être en retard à cause du travail… Tu as fait bon voyage ?”

Elle s’approcha de moi et dans un geste incroyablement souple quoiqu’un peu maladroit, elle effleura ma main pour me prendre mon bagage.

“Ça va aller…” lui ai-je dit en détournant le regard.

Je ne sais pas dire exactement de quoi, il s’agissait. De la gêne ? De la timidité ? De la surprise ? Ce qui était certain, c’est que je n’étais pas à l’aise. Je l’ai regardée.

“Euh… Il y a quelque chose qui ne va pas ?” m’a-t-elle demandé. “J’ai quelque chose sur le visage ?”

Je ne sais pas dire si cette question relevait d’une certaine impulsivité, ou d’une naïveté quelque peu trafiquée pour la rendre “mignonne” mais voilà, il était vingt-deux heures trente-quatre sur le quai de la gare Montparnasse et je venais de découvrir que ma tante était à l’opposé de l’austérité physique de mon père.

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