À l’heure où je reprends cette plume que j’ai longtemps laissée de côté par une certaine lassitude de ressasser encore et encore les mêmes idées, les mêmes dégoûts, je ne peux plus nier que cette retenue n’a fait qu’exacerber ma pression intérieure, dans une tentative vaine d’ignorer ce monde en qui j’ai toujours nourri tant d’espoir et de détestation. Je ne peux plus ignorer la capacité humaine à oublier sa propre beauté pour se complaire dans le déversement de sa colère, dans un torrent de haine sans fond, si ce n’est celui de l’élimination de l’Autre. Alors, je m’interroge : que dois-je faire ? Dois-je rester spectateur de l’autodestruction de ce monde ? Intérieurement, j’ai du mal à réprimer un sentiment de satisfaction malsaine à voir se dérouler des événements que j’avais anticipés depuis longtemps et qui semblent confirmer mes pires présages. Les êtres humains sont hideux lorsqu’ils se focalisent uniquement sur eux-mêmes, oubliant ou n’ayant jamais appris qu’il existe un monde au-delà de leur nombril. Ils se perçoivent comme connectés les uns aux autres, mais en réalité, ils aspirent à pouvoir couper cette connexion à tout moment, en se déchargeant de toute responsabilité envers l’autre et l’avenir. J’ai moi-même succombé à cette tentation. Quel est mon intérêt à me mobiliser encore pour une cause qui ne me procure aucun retour ? J’ai les capacités de naviguer dans cet univers nauséabond, car je sais comment manipuler cette bassesse et la faire ingurgiter à cette porcherie qui se profile à l’horizon. C’est affligeant de constater la résilience et la capacité d’adaptation de l’être humain face aux mauvais traitements, mais au final, est-ce vraiment étonnant ? J’ai toujours eu tendance à croire que le changement était possible, mais je n’avais pas le recul de l’Histoire longue. L’humanité a discriminé depuis ses origines, et le léger progrès que nous avons connu ne tiendra pas si tout le monde s’imagine que les acquis sont définitifs, alors qu’ils n’en sont qu’aux balbutiements. Faut-il accepter la disparition de ces acquis, même s’ils n’étaient qu’illusoires, et laisser le règne de l’arbitraire et de la mesquinerie prendre le dessus ? Même si je ne suis guère optimiste quant à l’avenir, je crois que je ne serai jamais résigné. Tant que je ne serai pas abattu, je retournerai au combat, armé de mes mots et de mes idées, en m’efforçant de contrer tous ceux qui pensent que leur bonheur vaut le prix du sang de leurs victimes.