Feuillet 2

Cette nuit-là, même emmitouflée sous mes couvertures, je ne pus m’endormir comme je l’aurais fait ordinairement. J’avais le regard de cet homme qui me revenait sans cesse et il m’était impossible de m’en défaire. Je ne savais pas pourquoi mais, bien qu’il m’inspirait une certaine frayeur, j’avais l’irrésistible envie de savoir pourquoi il était là et quelles pouvaient être les épreuves qu’il avait pu traverser avant d’arriver là, dans notre auberge.

Je ne réussis pas à dormir pour tout dire, même après que Maman soit passée me raconter une histoire avant de me souhaiter la bonne nuit. Je m’abstins aussi de lui poser des questions sur l’inconnu pour ne pas l’inquiéter. Maman n’aurait sûrement pas compris ces interrogations mais se serait obligatoirement fait du mauvais sang, juste rapport à ce simple fait. Lorsqu’elle sortit de ma chambre en éteignant la lumière, je ne savais pas si l’homme était encore là ou pas, s’il passerait la nuit à l’auberge ou s’il s’en était allé comme il était venu.

***

Le lendemain matin, je n’étais pas très en forme. La nuit blanche me pesait sur les paupières et mon cerveau était un gouffre sans fin rempli de questions. Comme d’habitude, je passai à la salle de bain pour me débarbouiller avant de descendre dans la pièce de notre auberge où l’on prenait le petit déjeuner. La maison et l’auberge ne faisaient qu’une et si mes parents avaient aménagé une partie privative pour nos chambres et le sanitaire, les autres pièces étaient communes. Cette configuration n’était pas des plus confortables mais lorsqu’on y est habitué depuis son plus jeune âge, on ne le remarque même plus.Nous avions quelques résidents quasi permanents et même s’il pouvait arriver qu’ils s’absentent quelques jours ou quelques mois ou bien encore suivant la saison, on finissait par les considérer presque comme des personnes d’une lointaine parenté.La première d’entre elles était Madame Oliveira, Ernestina de son prénom. Pour moi, elle avait toujours été là. Elle avait toujours été vieille aussi. Soixante-dix, quatre-vingts ans, peut-être. En tout cas, c’était un âge qu’il m’était à l’époque difficile à concevoir. De plus quand elle racontait quelques anecdotes sur sa vie, j’avais toujours l’impression qu’elle me parlait de ces temps où la photographie n’existait pratiquement pas et où les gens, a priori, ne voyaient pas encore la couleur.

Elle était toujours la première debout. J’ignore comment elle faisait. Peut-être ne se couchait-elle pas ? C’est vrai qu’elle avait sa table réservée, juste dessous l’escalier, et elle ne semblait jamais en bouger.

“Tu n’as pas l’air en forme, Louise, tu as mal dormi ?” me demanda-t-elle, lorsqu’elle me vit pointer mon nez dans le coin de l’escalier.

J’allais pour lui répondre par une grimace digne de ce nom, représentative de mon état de grâce matinale mais je me m’arrêtai brusquement dans mon élan. L’inconnu de la veille était assis sur une table d’angle, le bras dans une écharpe et il me regardait. Il ne portait plus l’espèce de béret qui lui couvrait le chef hier au soir et ce qui me marqua le plus, c’était que son visage bien rasé cette fois-ci, était jeune. Trente ans, tout au plus. Sans vraiment de raison, je sentis mes joues s’empourprer et je filai me réfugier dans la cuisine avant que qui que ce soit ne le remarque.

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