Ed Redon, ou l’histoire d’un marchand de sommeil – 1

Ed n’avait jamais eu la vie facile. Déjà tout petit, on se moquait de lui, de sa taille et de sa corpulence. Sa mère était pourtant fière de lui. Pour elle, il était le fils dont elle avait toujours rêvé. C’était le portrait de son grand-père disait-elle sans qu’Ed ne put vraiment savoir ce qu’elle entendait par là. Il avait bien vu dans le grenier quand il n’avait même pas quatre ans une vieille photographie qui montrait un petit homme moustachu, impeccablement engoncé dans un costume taillé sur mesure et qui se tenait, droit comme un i devant ce qui était sûrement le premier hôtel familial. Il avait l’oeil malin et sûrement plein d’espoir dans le coeur à l’époque. Il ignorait totalement ce que lui réservait l’avenir à lui et à sa descendance.

Ed était né à Paris, dans le dix huitième arrondissement, pas très loin de la place de Clichy, baptisé à l’Église Sainte-Geneviève des Grandes Carrières. Son père, il ne l’avait pas vraiment connu et sa mère ne lui en avait jamais vraiment parlé non plus. De ce qu’elle lui avait laissé entendre, il s’agissait tantôt d’un voyou, tantôt d’un homme de passage qui l’avait séduite, était resté suffisamment de temps pour lui faire des promesses auxquelles elle avait crues et qui l’avait ensuite quittée juste après la naissance d’Ed. Elle était restée à Paris pour s’occuper de l’affaire de son père qui décéda quelques temps après, emporté par une crise cardiaque pendant son sommeil. Quel crédit Ed accordait-il aux dires de sa mère ? C’était assez difficile à dire en définitive. Ed n’était pas un garçon qui brillait par son intelligence ou son esprit critique. Tout au plus pouvait-on déduire de son attitude qu’il avait développé une certaine indifférence par rapport à cela. Cependant, il paraît qu’aux alentours de ses huit ans, Ed s’était inventé, sur la rapport circonstancier fait par son institutrice, un père aviateur qui explorait les contrées lointaines de la planète et qui, de ce fait, ne pouvait être là, à Paris, retenu par quelque aventure un peu farfelue, truffée d’indiens sauvages, de sorciers indigènes qui jetaient des sorts effrayants et autres bêtes étranges qu’il fallait chasser et ramener au pays.

A son douzième anniversaire, Ed allait plutôt bien en apparence mais les médecins lui diagnostiquèrent la maladie de Gélineau. Cette nouvelle ne traumatisa pas le jeune Ed. Pour lui, c’était même une particularité dont il tirait une certaine fierté vu qu’il fréquentait du coup de grands professeurs qui s’évertuaient à trouver le traitement qui pourrait lui convenir.

Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que les différents médicaments n’étaient pas tout à fait au point et le jeune Ed essuya quelques effets secondaires dont il se souvint ensuite durant toute sa vie. A seize ans, il changea même d’attitude par rapport au monde médical et il rentra en “rébellion” contre lui, si tant est qu’on puisse parler vraiment de “rébellion” lorsqu’on parle de ne pas suivre tout simplement un traitement prescrit. Cependant cet acte héroïque fut le point de départ de la première et unique aventure féminine du jeune homme.
Elle s’appelait Emilie. Il était improbable que cette jeune fille puisse s’intéresser à Ed, au départ. C’était la fille d’un général à la retraite. Les cheveux châtains, les yeux verts un peu pétillants. Une silhouette plutôt ronde mais qui ne mettait rien en cause de sa féminité. C’était donc une jolie fille mais loin de pouvoir s’assortir naturellement avec un garçon tel qu’Ed.

D’ailleurs, Emilie n’avait jamais remarqué Ed jusqu’à ce jour. Au mieux savait-elle qu’il était un peu à part car étant dans la même classe, il était difficile d’ignorer qu’Ed bénéficiait de certains aménagements de son emploi du temps et d’une certaine bienveillance de la part de l’équipe pédagogique pour raisons médicales. Mais c’était tout. Elle était bonne élève en tout et Ed ne l’était sur rien, tantôt moyen, tantôt médiocre si l’on se réfère à son dossier scolaire.

Pourtant ce jour-là, un incident intervint et changea le cours des choses, surtout les sentiments de la demoiselle envers Ed car pour Ed, ce ne fut pas le cas.

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