Je n’aime pas la période des fêtes de fin d’année. Je sais que je ne suis pas le seul et que c’est assez monnaie courante de nos jours. Je ne sais pas si cela a toujours été comme cela et pour être franc, je m’en fiche un peu. Je ne suis pas là pour me comparer au reste du monde ou aux restes du monde. Les restes du monde…. Je devrais parler des restes de mon monde pour être honnête mais c’est compliqué de l’être, qui plus est quand la personne à convaincre c’est soi-même.
Je sais que tout le monde traverse sa vie et qu’un grand nombre n’est pas fier de ce qu’il a pu faire ou de ce qu’il n’a pas su réaliser. Cela fait partie de la marche normale des choses, c’est… naturel. Je ne cherche pas d’excuses à dire vrai. Vous allez me demander : « Des excuses ? De quoi parles-tu ? » et c’est bien normal comme réaction. Et pourtant, c’est la vérité, je cherche une excuse pour pouvoir me raconter ou plus exactement conter l’histoire qui m’est arrivée.
J’ignore si cela doit me libérer d’un poids mystérieux ou si le fait de mettre des mots là où je suis aphone la plupart du temps m’apportera un peu de réconfort, mais, cela fait partie de l’inexplicable.
Il y a quelques années, j’ai perdu la seule personne envers qui j’avais vraiment des sentiments. Les circonstances n’ont pas réellement d’importance. La seule chose à retenir, c’est que cette perte était inéluctable et irréversible. A l’époque et pour toute réponse à cela, j’ai fui. J’ai emprunté la voiture d’une amie et je suis parti. J’ai roulé, roulé, roulé sans avoir d’idée sur l’endroit où je voulais aller. Je savais d’où je voulais partir mais je ne savais rien sur là où je voulais atterrir. De plus, et c’est peut-être difficile à comprendre pour certaines personnes, ce n’est pas quelque chose que je maîtrise : mes réactions. Certains veulent voir une certaine impulsivité là où d’autres la qualifieront d’immaturité. La réalité dans tout cela, elle n’est ni d’un côté, ni de l’autre. Peut-être que c’est une maladie, qui sait.
C’est assez commode d’invoquer la maladie, je sais mais c’est que je suis à court d’explication. J’aurais préféré invoquer une histoire fantastique ou bien une histoire d’extra-terrestres, cela aurait sûrement été plus vendeur et à tout le moins, cela aurait très certainement tiré un sourire des lèvres de mon lecteur. Même moi, j’en souris lorsque je pense à cela.
Mais voilà. Rien de tout cela.
Je n’aime pas la période des fêtes et cette année-là, comme toutes celles qui l’avaient précédée, n’avait pas eu la bonne idée de l’ablation. J’avais donc revêtu mon air morose de saison lorsque mon amie m’avait titillé sur mon emploi du temps du réveillon de Noël.
« La, la… Tu retournes dans ta famille ? »
« Je ne vois pas bien pourquoi je ferai cela… » lui avais-je répondu assez froidement.
« Noël, ça se fête en famille… Normalement… »
« Noël, c’est la fête des enfants, aussi… Normalement… »
« Et tu n’es pas le fils de tes parents, par hasard ? »
« Ca n’a rien à voir. »
« Oui… Et non… »
Je ne savais pas où elle voulait en venir. En revanche, je savais que cette conversation m’ennuyait et dans le pire des cas, qu’elle allait aboutir une dispute, somme toute, ridicule, infructueuse mais déplaisante. Je savais que mon amie ne m’en tiendrait pas rigueur sauf pendant une période limitée à deux ou trois jours, le temps pour elle d’avoir évacué de sa tête la flopée d’insultes que mon comportement lui inspirait.
« Mmm… » me fit-elle.
« Mmm… Quoi ? »
« Mmm… »
« Mmm… Quoi ? Je ne vais pas deviner à quoi tu penses si tu en restes à une sorte de… Meuglement. »
Elle me regarda avec des yeux d’un teint vitreux.
« Franchement… Franchement, je me demande pourquoi je suis si gentille avec toi… »
« Parce que tu étais gentille selon ton point de vue, là ? »
« Non… Juste parce que je veux t’inviter à la maison pour le réveillon… »
Honnêtement, je n’étais pas emballé par cette option mais, à ce moment précis, j’étais un peu coincé par le contexte de la situation. J’avais le choix entre la vexer définitivement ou bien me faire violence pour accepter une invitation qui n’avait rien d’embarrassante si ce n’est que…
« Noël, c’est plutôt une fête que l’on fait en famille, nan ? »
« Mmm… Peut-être que je te considère comme faisant partie de la famille, on va dire… Ca te va comme explication, Mister Freud ? »
Et voilà. Ce fut comme cela que l’affaire fut conclue. Pour la première fois depuis quatre ans, j’allais passer le réveillon avec des êtres humains et non à regarder la peinture blanche de mon appartement.
***
Il était cinq heures de l’après-midi lorsque j’ai quitté le boulot. Cela en a surpris plus d’un mais au final, ils étaient tous tellement préoccupés par l’achat des derniers préparatifs de leurs veillées respectives, ils ne me posèrent pas trop de questions.
De mon côté, mon isolement festif était tel que je ne savais pas vraiment comment il fallait que je vienne. Fallait-il que j’apporte des cadeaux, que j’apporte des fleurs ou une bouteille de vin ? Fallait que je fasse un effort vestimentaire ? J’appréhendais le retour au sein du genre humain. Sans trop de peine, j’anticipais quelques difficultés à retrouver les gestes, les mots naturels à employer dans ce genre d’occasion. Je n’avais aucune envie de me mettre une quelconque pression et c’est pourquoi, il fallait que sur l’emballage, ce soit marqué « irréprochable ».
Florence avait deux enfants : Jérôme et Garance. Le premier devait avoir quatre ans tandis que la seconde approchait les sept. Elle n’était pas mariée. Pour le reste, c’était pour moi un peu flou. Je ne m’occupais pas de sa vie privée d’autant plus qu’il fut un temps où nous avions eu quelques petits soucis de synchronisation sentimentale au début où nous nous étions rencontrés. A l’époque, j’aurais certainement pu les éviter mais, même si cela fait partie des mystères de ma personnalité, j’avais trouvé commode d’essayer me rapprocher d’elle. Cependant, nous n’attendions pas la même chose l’un de l’autre et même si au final, ce que nous mettions sur la table était quelque chose d’assez léger affectivement, il était clair que nous n’aurions pas pu y survivre. Pourtant, il a fallu que nous nous disputions devant ces amis et devant ses enfants pour que nous arrivions à nous parler vraiment. Nous avions sûrement ce trait en commun : nous n’avancions qu’une fois au bord du gouffre.
Ce soir-là, j’ai acheté un truc qui ressemblait à un jouet pour un gamin de trois ans et un livre pour une petite fille de six. J’ai aussi pris une bouteille de vin. Comme je n’y connaissais rien, j’ai pris la plus chère en tablant sur le fait que le prix avait quelque chose en rapport avec sa qualité. Enfin, pour la tenue vestimentaire, je suis resté sobre voire ordinaire. C’était Noël et non le réveillon du jour de l’an. Il me semblait que cela devait être moins formel.
« Fallait pas ! » m’a dit Florence lorsqu’elle m’a ouvert, avec un grand sourire.
« Tu arrives à point nommé ! Tout le monde est déjà là et n’a qu’une envie, c’est de se jeter sur l’apéro. »
Je fus assez surpris de la composition de ce « tout le monde ». Je m’imaginais sûrement quelque chose avec moins de personnes. Mais, si j’avais un peu réfléchi, je n’aurais pas eu à m’en étonner. Florence était la dernière d’une famille de trois filles et deux garçons.
« Et voilà, je te présente, Marie, ma grande sœur et son mari Yoni, Valérie et son ami Henri – tout en i, je n’y peux rien… Julien leur fils… et bien sûr, mes deux terreurs que tu connais déjà… »
Florence allait s’en aller pour mettre la bouteille de vin dans la cuisine lorsqu’elle s’arrêta brusquement et fit un demi-tour assez sec.
« La, la… J’allais oublier… Il y a la demoiselle aussi, là-bas… Laurence…. Mais tout le monde l’appelle, Lo… C’est…. Une sorte de cousine… »
En terminant sa phrase, Florence me fit un clin d’œil. Je n’aimais pas quand elle faisait cela car cela sentait le plan à deux francs six sous mais je fus obligé de lui sourire. Je jetai dans le fond de la pièce. Elle était là, silencieuse, en train de regarder son verre comme si elle découvrait l’objet pour la première fois. Une sorte d’extra-terrestre, je crois.