Itinéraire d’une petite fille – 1

Il neige. Je regarde ce spectacle et cela me rend quelque peu nostalgique. Je ne sais pas quelle partie de moi ressent cette émotion mais je sais, je sens qu’elle est présente. Papa est sorti avec les enfants dans le jardin et ils jouent, ils crient et rient. Ils rient si fort que je les entends même de là où je suis. J’ai pris l’excuse d’un mal de gorge naissant imaginaire pour ne pas être avec eux. Pourtant, je n’aime pas mentir. Bien entendu, je me sens un peu mal vis-à-vis de cela. Je sais que je ne devrais pas fuir, que je ne devrais pas m’isoler, que je devrais être à leur côté à souffler sur le bout de mes doigts pour les réchauffer et à courir à droite, à gauche pour éviter les jets de neige des enfants.
La plus grande : c’est Léa. Elle a cinq ans. Son frère a deux ans de moins : Maxime. Ils n’ont pas le même père mais pour l’instant, cela ne pose pas trop de problème.
Et l’adulte qui joue avec eux : c’est Jacques. Je souris toujours quand je prononce son prénom. J’ai toujours trouvé que cela faisait un peu vieillot. C’est peut-être un peu déplacé mais bon, c’est ce que je pense et après tout, ce n’est pas très important. Jacques est bien. C’est quelqu’un d’important pour moi même si je ne sais pas vraiment expliquer ni pourquoi, ni comment. Je ne sais même plus dire la manière dont nous nous sommes rencontrés et comment nous en sommes arrivés à nous mettre ensemble.
Je crois que c’est une amie qui me l’a fait rencontrer. Cela n’a pas été le coup de foudre, cela n’a pas été non plus une histoire cousue de fil blanc sous la forme d’amours cachés. Cela s’est fait comme cela, étape après étape, avec le côté rassurant d’une relation claire et adulte. A chaque fois qu’il m’a demandée de franchir un cap, c’était après avoir franchi le précédent. Je n’ai donc jamais pu lui dire non.
Et pourtant.
Jacques n’est ni le père de Léa, ni le père de Maxime. Cela se sent parfois. Même souvent. Mais je préfère cela. Il y a un autre “Jacques” avant. Un “Jacques” qui ressentait les choses bien autrement. Un “Jacques” qui m’a fait sombrer dans mes propres tourments et que j’ai fini par rejeter car je ne pouvais pas lui donner ce qu’il demandait.
Quand j’y repense cependant, cet autre “Jacques” n’a jamais rien réclamé mais il a toujours été présent. Je l’avais connu avant de tomber enceinte de Léa. Nous avons même été ensemble pendant quelques mois. Mais jour après jour, nous avons dû nous mettre face à la réalité. Je n’avais pas les mêmes envies que lui. Je n’avais pas la même manière de concevoir la vie. J’étais jeune et plutôt introvertie. Je n’avais aucune assurance et la seule source de satisfaction que j’avais, c’était mon boulot. Lui, c’était un peu tout le contraire. Sa situation professionnelle était enviable et pourtant, cela semblait être pour lui un motif de satisfaction secondaire. Il cherchait autre chose. Mais je n’ai jamais réussi à savoir quoi.
C’était quelqu’un qu’il était difficile de détester. A plusieurs niveaux et pour de multiples raisons. Il y avait quelque chose de violent chez lui, d’irrationnel. Il ne raisonnait pas comme la plupart des gens. Il donnait mais ne semblait jamais vouloir recevoir. Avec le recul, ce qu’il voulait recevoir, il le prenait au travers de notre relation sans forcément avoir l’exigence de la forme. Je me suis toujours sentie débitrice par rapport à lui. Même quand nous nous sommes séparés. Je me souviens que ce n’était pas un bon souvenir, notre première séparation. Surtout que quelques jours après, je l’ai vu avec une autre fille. Je ne sais pas dire pourquoi mais j’en étais jalouse et j’étais sûrement en colère de voir qu’elle n’avait rien en commun avec moi. Et lui, semblait heureux. Même amoureux.
Je crois qu’il l’a vraiment été. Simplement, cela a mal tourné au bout de quelques mois. Il y a eu une histoire de bébé, de petit ami, d’amant, d’avortement et de fausse couche. En fait, je ne sais pas vraiment ce qu’il s’est vraiment passé. La seule chose que je peux dire, c’est que cet épisode l’a profondément marqué et à jamais.
Nous nous sommes revus un an après. Je l’ai même invité pour une soirée pour lui annoncer que j’étais enceinte. Sa réaction n’a pas été celle que j’attendais. Il ne m’a pas demandé si j’étais avec quelqu’un ou qui était le père. Il m’a juste demandé si je voulais la garder. Je me souviens encore de son regard, ce soir-là. J’avais envie de partager cette nouvelle avec un ami, avec une personne qui m’était proche et j’ai croisé les yeux d’un père. Je ne l’ai pas réalisé tout de suite sur le moment. C’est devenu évident ensuite et au fur et à mesure des années qui ont suivi.
Est-ce que j’aurais dû faire ça ? Est-ce que je ne me suis pas trompée encore une fois ? Difficile de le dire. Je crois que je n’avais pas vraiment calculer l’état d’esprit dans lequel il serait à cet instant-là.

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