Il est des personnes qui sont facilement abordables et qui savent même si cela ne les enchante pas vraiment, s’accommoder des autres, de leurs conversations aussi insipides puissent-elles être. Il en est d’autres pour lesquelles ce n’est pas le cas. La fameuse Laurence faisait partie de la seconde catégorie. Cependant, elle ne faisait pas cela de manière consciente et je crois même pouvoir dire que toutes ces considérations lui étaient étrangères. J’ai même cru dans les premiers temps qu’elle avait une sorte d’handicap mental.
Florence, après m’avoir indiqué le prénom de son invité extraterrestre, tenta de me fausser gentiment compagnie pour aller s’affairer dans les coulisses de sa cuisine. Mais je la suivis, déterminé à ne pas me faire embarquer dans une histoire trop bizarre.
« C’est quoi, cela ? Une sorte de cousine ? »
« C’est une sorte de cousine… »
« C’est quelque chose qui a à voir avec ta famille ou non ? »
« Hum… Tu veux que je te dise la vérité vraie ? »
« Parce qu’il existe une vérité qui ne l’est pas ? » fis-je. « Je préférerai. »
« C’est la demi-sœur de Yoni. Ce n’est pas moi qui l’ai invitée, c’est Yoni qui l’a amenée. »
« Et c’était quoi le plan ? »
« Le plan ? »
« Bah oui, le plan… »
« Je ne vois pas de quoi tu parles mais non, il n’y a pas de plan… Enfin je ne crois pas… Marie m’a téléphoné ce matin pour me prévenir et me demander si cela ne me dérangeait pas… Et voilà, non : cela ne me dérangeait pas plus que cela. »
Florence se mit sur la pointe des pieds pour attraper quelques assiettes perchées dans le placard du haut.
« Tu t’attendais à quoi ? » me demanda-t-elle.
« Je m’attendais à quoi ?… Euh… A rien… C’est juste que… »
« Je pense que ce n’est pas un drame si je te la présente, non ? C’est même tout ce qu’il y a de plus poli, civilisé, urbain… non ? Tu aurais préféré que je ne te dise rien ? »
« Non… Non… »
Je pensai à ce moment-là que c’était moi qui avais mal interprété tout d’entrée de jeu.
« Allez, viens avec moi… On va trinquer avant que je finisse de dresser le couvert et de préparer les entrées… »
Florence me fit signe de la main de dégager de la cuisine et me suivit ensuite.
***
« Allez, allez, mesdames, mesdemoiselles et messieurs… Les lardons sont aussi invités à se joindre à nous – Garance ! Tu viens là et tu libères la salle de bain, s’il te plaît, merci ! -. Qu’est-ce que vous voulez boire ? Marie… Pas la peine de me le dire… Muscat, Muscat et rien d’autre… Mais pour les autres, vous avez le droit de répondre autre chose pourvu que cela fasse partie des stocks disponibles de mon hyper-super-grand coffre à malices. »
Le coffre à malices, c’était le coffre en bois que Florence utilisait comme table basse et dans lequel se trouvait tout son bar.
« Alors ?… »
Comme d’habitude, Florence était parfaite dans son rôle d’hôte et ce soir-là, elle ne faillit pas à sa réputation. C’était une seconde nature chez elle. Peu importait l’occasion ou bien ses invités, elle savait se détacher des circonstances pour être simplement celle qui veille à ce que chaque instant soit un souvenir inoubliable. Je me suis toujours dit que c’était pour elle une sorte de défi, une exigence qui lui venait de quelque part sans savoir vraiment de quoi il en retournait exactement.
La soirée débuta réellement ainsi. Nous trinquâmes tous ensemble et malgré le fait qu’il ne me semblait pas être tout à fait à ma place, j’étais plutôt heureux d’être là. Je discutai un peu avec tout le monde mais particulièrement avec Marie et Yoni. Marie semblait s’intéresser à mon cas d’une manière un peu obsessive mais je crois qu’elle cherchait à savoir quel genre de relation j’entretenais avec sa petite sœur. Je pense qu’elle fut quelque peu rassurée de savoir qu’il n’y avait rien de spécial entre nous. Ce n’était pas qu’elle avait un mauvais jugement sur moi, je crois qu’elle était simplement soulagée de constater que ce qu’elle savait de sa sœur était cohérent avec la réalité. Je ne connais pas bien les relations qu’il peut exister entre les frères et les sœurs cependant, je conçois aisément qu’il puisse être rassurant d’être dans une position où l’on n’ignore pas un aspect ou un autre de la vie de quelqu’un de sa famille.
Le repas s’acheva avec la traditionnelle bûche glacée et comme ensuite, il était minuit passé, Valérie et Henri annoncèrent leur intention de partir. Les enfants étaient de toute évidence déjà fatigués et il fallait les coucher. D’autant plus qu’ils allaient se lever très tôt pour déballer les cadeaux que le Père Noël allait déposer au pied du sapin dans la nuit. Florence n’insista pas pour les retenir : ses deux loustics devaient aussi aller au lit et devant cette vague de départ, Marie et Yoni proposèrent de s’éclipser aussi, Laurence dans le même transport bien entendu. Florence acquiesça mais indiqua qu’elle voulait les accompagner à leur voiture.
« Je te laisse surveiller la maisonnée ? » me fit-elle.
Je lui fis « oui » de la tête et je me retrouvai pour quelques minutes, seul dans son appartement. Ce n’était ni la première, ni la dernière fois que je me retrouvais dans cette situation mais le fait est que cela me faisait toujours un peu bizarre de me retrouver ainsi. Comme je ne m’éclipsai pas en même temps que tout le monde, il était facile pour les autres hôtes d’aller s’imaginer que j’entretenais avec Florence une relation qui allait plus loin que la relation amicale. Personnellement, cette interprétation ne me gênait pas mais je me disais que cela pouvait l’être pour Florence. Il me semblait qu’avec ses enfants, cette ambiguïté pouvait être difficile à gérer. Mais de ceci, elle ne me fit jamais état et rien dans son comportement n’abonda jamais dans ce sens.
Vu que Jérôme et Garance étaient couchés, j’en profitai pour m’allumer une cigarette. Je regardai le plafond en me laissant un peu flotter dans mes pensées. Est-ce que j’allais rentrer ? Est-ce que je finirai par dormir dans le canapé ?…
***
Le bruit de la serrure et les murmures derrière la porte me tirèrent d’un seul coup de la légère léthargie dans laquelle je m’étais laissé aller. De toute évidence, Florence n’était pas seule et j’en eus rapidement la confirmation quand je vis reparaître sa tête ainsi que celle de Marie, son mari et celle de Laurence.
« Euh… Que se passe-t-il ? » demandai-je.
« Problème technique… Leur voiture ne démarre plus… La batterie sûrement et je ne suis pas équipée pour aider dans ce type de situation… » me répondit Florence.
« Aïe… Verdict ? »
« Verdict ? Marie et Yoni vont coucher à la maison… Je ne vois que cela comme possibilité. »
« Et Laurence ? »
Florence me regarda.
« Tu n’habites pas très loin et je suppose que tu peux l’héberger, non ? »
Je ne m’attendais pas à cette option et je n’avais pas anticipé de réponse, ou d’excuse pour l’esquiver. Je me suis donc entendu répondre par la positive même si le cerveau n’intervint et ne réalisa ce que je venais de faire que quelques secondes après.
« Oui. Pourquoi pas… »