Le Requiem de Fauré

La vieille bâtisse découpait l’horizon quand le crépuscule pointait… Laissée à l’abandon peut-être et surtout au fracas incessant des vagues qui grignotaient les contrebas de la falaise. D’aucuns disaient, qu’à la tombée de la nuit, l’on entendait des cris ou bien toutes sortes de musique inquiétante… Mais tous étaient bien ignorants… Moi, je savais…

De loin quand il y avait du brouillard et quand le soir se posait sur la mer, celui qui le voulait, un peu curieux, aurait pu distinguer les lueurs vacillantes qui dessinaient dans la découpe des fenêtres des ombres torturées et dansantes, sur la peinture blafarde des plafonds.

Quand le vent changeait de direction, la girouette forgée grinçait et les plaintes étranges s’envolaient pour se perdre dans le roulis impeccable des flots.

Mais personne ne voulait voir, personne n’osait imaginer le drame quotidien qui se jouait… D’aucuns disaient que la propriétaire était une vieille folle, qu’elle était peut-être morte et que c’était son fantôme en mal de rédemption, qui brûlait et geignait derrière la discrétion des volets aux ailes ajourées… Les gens perdaient la mémoire de ces dizaines de silhouettes qui d’un pas mal assuré remontaient de la ville, sans un mot et l’œil alcoolique…

« C’était Lucifer » avait dit le curé qui régnait entre ces murs plein de mousse et glacés… Seules les âmes impures ou désœuvrées pouvaient avoir envie de s’y retrouver. De tout cela, l’hypocrisie des habitants en avait fait une vérité, laissant quand même de côté, de grands silences embarrassés.

C’est étrange que même si la majorité sait qu’elle se cache la réalité, il reste des tabous qu’elle ne peut arracher, au nom d’une morale qui préfère s’afficher plutôt que d’avancer, voire même trouver une solution à son problème.

Puisque fraîchement arrivé à la rédaction du journal local, il était naturel pour moi, d’être intrigué la rumeur suscitée par cette bâtisse et de mettre les deux pieds dans le plat.

J’ai mis quelques semaines avant de me décider car, quand il m’arrivait d’en parler, je voyais bien les regards se détourner. Qu’y avait-il là-bas pour susciter tant de crainte et de murmures gênés ? Alors j’ai traîné sur le port et dans les bas quartiers à la poursuite de ces ombres que je voyais gravir le chemin à la nuit tombée et s’évanouir dans la brume au matin. Mais impossible de leur tirer un traître ver de leurs nez.

Alors un soir, je n’ai dit mot et prenant mon inconscience à deux mains, j’y suis allé.

Je ne vous dirai pas ce que j’y ai trouvé car ces choses ne se disent pas puisqu’on préfère les cacher… Je sais que la vieille folle regarde tout ceci avec un œil usé, qu’elle pense juste à ces filles et à les protéger. Alors, tous les soirs, avant d’ouvrir sa porte à ses âmes perdues et de les faire chanter, elle soulève d’un doigt le diamant de son gramophone pour délicatement le poser sur son disque fétiche « le Requiem de Fauré » qui résonne toute la nuit pour recouvrir le bruit de la maisonnée.

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