Je n’ai guère de temps en ce moment pour penser et je me dis à ce propos que c’est sûrement mieux. Ce n’est pas que je n’aurais pas envie de consacrer du temps à d’autres choses qui me paraissent mille fois plus importantes que celles que je fais mais c’est juste que je me dis que ça me permet d’éviter de penser à la distance qui me sépare d’elles. Et pourtant, je crois que je rame. Je devrais même pouvoir participer à une compétition olympique, je devrais pouvoir arriver à me classer dans le top ten.
Sérieusement, je ne sais pas ce que tu vas dire vis à vis de cela mais… Je crois que je me suis créé un manque. Je n’aurais peut-être pas dû. J’aurais peut-être dû continuer à renforcer les défenses, à colmater les brèches et augmenter l’épaisseur des parois où je me suis enfermé. C’est dingue que même lorsqu’on occulte toutes les fenêtres, les bas de portes, la lumière trouve toujours un moyen de passer. C’est dingue et en même temps, je ne peux pas nier que cela me soulage. J’en ai parfois assez d’avoir cette image de marbre, d’acier froid et inerte qui me colle à la peau. J’en ai parfois assez d’avoir cette image d’endroit où l’on peut venir se réchauffer une nuit pour retourner gambader ailleurs celle d’après.
Je ne sais pas retenir les instants. Je sais m’en souvenir, je sais les coucher sur le papier mais je ne sais pas les retenir. Je ne sais que les regarder passer, aller et venir. Je sais les prendre dans mes bras quand il le faut, leur montrer la direction qu’il faut qu’ils prennent la prochaine fois. Et c’est tout. Ca s’arrête là.
Je ne veux pas me plaindre à propos de cela car je sais trop bien que c’est déjà ça. C’est bien déjà, de pouvoir les prendre au moins une fois dans ses bras. C’est mieux que quand on n’en a pas l’occasion. Ca ne se prend pas dans les bras, une chose qui n’existe pas. Tu comprends ? Tu te rappelles ? Tu vois pourquoi je dis ça. Non ?
Alors oui, je me suis créé un manque. Un manque d’”elles”, un manque de “toi”. J’ai besoin de ça… Ne cherche pas d’autre raison. Je pouvais rester sur le côté de ma rive mais ça ne le faisait pas. Y a mille endroits sur terre où c’est joli, ou il fait chaud et où on peut même se faire dorloter sans trop savoir pourquoi. Mais de ça, je m’en fiche. Ca n’a ni couleur, ni odeur. Ca ne vaut même pas une carte postale.
Je n’ai guère de temps en ce moment et je me dis que c’est tant mieux. Car dès que j’ai quelques minutes, je commence à repenser au fait que je ne suis pas là. Ni là où je suis, ni là où je voudrais être et je crois qu’il vaut mieux ne pas y penser que de trop rêver à un peut-être.