La beauté est dans le regard de celui qui la voit et non dans l’objet qui la porte.

Je voudrais parfois ne pas avoir à parler d’elle. Moins parce qu’elle est une blessure que parce qu’au final, je n’ai pas grand chose à en dire. Je n’ignore pas les événements passés mais c’est juste que la place qu’elle est trop grande, trop complexe à expliquer que lorsque j’essaie de raconter un épisode tout simple sans arrière-pensée, tout revient connoté de la mauvaise manière. Je comprends que pour le peu de gens pour lesquelles je représente quelque chose, chaque fois où son nom revient dans la conversation, il y a comme une sorte de crispation, de nervosité. “Il y pense encore”, c’est le seul élément qui leur vient à l’esprit et c’est forcément de mauvaise augure. Peut-être. Peut-être pas. Pour dire toute la vérité, je ne le sais pas moi-même. J’avance un peu à la manière d’un automate désormais. J’avais déjà compris, il y a quelques années, que faire des plans, prévoir, n’avait pas vraiment de sens mais j’ai compris une autre chose avec elle : espérer est une sorte de vice. Je ne sais pas bien expliquer la raison exacte qui me pousse à affirmer une telle chose mais je la ressens comme cela. Ce n’est pas gênant en tant que tel, cela rend juste n’importe quel événement de la vie un peu anodin, sans relief. On agit par simple réflexe sans anticiper, sans émotion. Enfin, pas sans émotion. Sans ce qui fait que l’émotion atteint une mesure qui remue notre ordinaire. Je suis un peu comme un homme sur le quai d’une gare qui regarde passer les trains sans trouver une rame dans laquelle s’embarquer. Vous trouvez cela triste, morne ? Vous aurez raison. Cependant, a contrario, est-ce suffisant pour que ce sentiment conduise à une critique ?
“Tu verras, tu dis cela aujourd’hui et demain, il t’arrivera un truc bien et ça te changera la vie du tout au tout…”
Je souris quand les gens me disent cela. Des “trucs biens”, j’en ai une pleine besace. Est-ce que ma vie a changé du tout au tout ? Oui. Et puis tout est retombé, car rien n’est fait pour durer. Les gens voudraient croire ce qu’ils prêchent jour après jour ; le seul souci, c’est que ce prêche change chaque jour, quitte à affirmer le contraire de la veille, car en fin de compte, ce qui compte, c’est d’être heureux et bien dans sa peau. S’il faut mettre de côté quelques vérités, élaborer quelques mensonges pour que le décor soit un peu plus joli et que les autres n’y voient que du feu (ou bien fassent semblants) : tout est bien dans le meilleur des mondes. Je n’ai pas envie de cela. Je n’ai jamais aimé l’hypocrisie surtout lorsqu’elle vise à tromper non seulement les autres mais soi-même. Je ne suis pas quelqu’un de parfait mais je n’ai pas envie d’avoir à masquer mes défauts. Je n’ai pas envie non plus que l’autre me masque ses défauts. Ils font partie intégrante de lui, d’elle. C’est un tout. Je ne veux pas uniquement de l’image qui se reflète sur le miroir. Je ne veux pas que le printemps et l’été. Je veux toutes les saisons.
Je voudrais parfois ne pas avoir à parler d’elle et au final, j’y arrive car lorsque je peins son corps, ses mots sur la toile de mes conversations, de mes bouts de papiers, la silhouette que j’esquisse n’a rien à voir avec elle. C’est juste une photo, un instant. Bien cadré, on a l’impression qu’il s’en dégage une espèce de beauté, de chaleur. C’est une oeuvre que l’on pourrait mettre dans un musée pourqu’elle y prenne la poussière.
La beauté est dans le regard de celui qui la voit et non dans l’objet qui la porte.

Laisser un commentaire