Ne plus t’envahir.

J’ai toujours espéré que la réalité soit différente de celle que j’envisageais. Depuis que je suis enfant. Depuis un certain instant dont je ne me rappelle plus. Depuis ce moment où il m’est apparu évident qu’il n’y avait rien à attendre des autres. Je suis pourtant comme eux, comme vous aussi, j’ai été bien élevé ou bien plutôt, pour éviter un jugement de valeur trop brutal, dans la norme. Je ne pense pas que l’on m’ait inculqué des règles ou des concepts très différents de la plupart ; en revanche, je pense que j’ai eu des réactions qui l’étaient un peu moins. Mes parents voulaient que je me sente bien depuis ma naissance, cela a toujours été le leitmotiv de chaque mot, de chaque phrase qu’ils étaient amenés à prononcer, de chaque geste qu’ils pouvaient avoir à mon attention. Je leur suis reconnaissant de cela car en fait, je comprends. Je comprends leurs intentions même si elles n’ont fait que m’effleurer année après année sans vraiment me convaincre. La vérité derrière cela, c’est aussi que je me suis toujours efforcé de douter de ma propre conviction. Je pense que c’est une réaction humaine. Quand bien même l’on a le désir de se démarquer des autres, on a l’envie diamétralement opposée de se confondre avec eux. Pour se sentir un peu moins seul ou quelque chose dans ce goût-là. Au final, c’est cela qui nous fait avancer, je crois. Essayer de trouver le chemin qui se trouve entre notre propre besoin de nous affirmer et la volonté d’être. On ne peut pas être sans les autres. On est vraiment conscient de ce que l’on est que lorsqu’on est confronté à un tiers. Sinon, ça reviendrait à se tenir debout devant une toile impeccablement blanche et sans reflet. On avancerait sûrement, avec ce que certains appellent notre instinct animal mais on ne saurait jamais que l’on est. Une entité unique qui ne peut pas voir son image dans quelque miroir ne peut pas avoir conscience qu’elle est une entité. Elle ne peut surtout pas comprendre la limite qu’il y a entre elle et son environnement. Chaque geste va modeler son environnement et suivre une logique peut-être parfois chaotique mais somme toute logique, froide, presque mathématique. Certains peuvent être en extase devant cela car pour eux, c’est un stade ultime de perfection. L’environnement qui se confond à l’entité qui s’y meut. C’est une sorte d’osmose et cette osmose renifle la même odeur que la perfection. Mais la perfection est uniforme bien qu’elle puisse se parer d’un désordre apparent un peu comme les fractales de Mandelbrot. Cela reste une répétition mathématique. Le temps, le mouvement et toutes ces autres dimensions que nous sommes incapables de percevoir, si l’on reste attaché à elles ne sont qu’une valse, qu’une chanson dont le thème se répète même si l’on change la gamme, le timbre. Je ne veux pas me plier à cela. Mais comme dirait l’autre, ce qui met l’improbable amas de neurones dans un état d’ébullition, c’est de se dire que peut-être, cette réaction que certains vont appeler de tout leur coeur, n’est en fait que la répétition mécanique d’un système dont le seul mécanisme de défense est de produire une illusion pour rétablir l’équilibre.

Quand on y repense, si l’on s’éloigne d’un raisonnement de mathématique pure et que l’on observe notre vie dans ses méandres. Ces moments où l’on a ri, où l’on a pleuré, où l’on est rentré en conflit par rapport à un événement ou un autre : n’était-ce pas là une manière de contenir cette potentielle bifurcation ? Les gens ont une particularité bien ancrée. Ils ne savent pas endurer. Ils ne peuvent pas penser quelque chose, ressentir quelque chose sans avoir à un moment donné, le besoin de l’exprimer, de le manifester. Untel a retrouvé son équilibre via la religion, un autre va le traduire dans des mots dans sa poésie, un autre encore va se retourner contre lui-même et ce n’est là qu’un petit éventail de possibilité. Le fond reste : quelque soit la manière, on traduit son ressenti dans un mode d’expression, on le sort de nous car tant que cela reste à l’intérieur, on ne sait qu’en faire. Que ce soit un sentiment d’amour, que ce soit une tristesse ou même douleur, on ne sait pas vivre en l’affrontant de l’intérieur. C’en est même devenu une science. Et quelque part, peut-être le début de la fin.

Je ne suis pas là pour donner de leçon à personne, j’ai fait la même chose quand bien même mes motivations étaient différentes. Je crois seulement que tout cela est une erreur. En faisant tout ceci, on remplit le monde de notre propre image jusqu’à nous masquer celle de celui ou celle qui nous fait face. On n’est incapable de se voir. L’autre n’est plus d’un mince filet de lumière qui teinte notre univers mais dont on n’a plus concience. Je ne suis pas encore certain que cette raison soit l’unique, qu’elle soit l’alpha et l’oméga de ce mal-être rampant mais toujours plus prégnant. J’ai juste le doute. L’impression qu’en envahissant le territoire de l’autre et en le recouvrant de ma propre peinture plutôt que de laisser les lieux intacts, je suis incapable de voir autre chose que ma subjectivité. Qu’aimé-jé lorsque je vais vers l’autre pour lui exprimer mon amour : moi dans ce sentiment ou lui avec ce qu’il me renvoie de ce sentiment. Où est la frontière ? Ne devrais-je pas envahir mon univers de lui, de ce que je crois être son ressenti plutôt que d’exprimer ce qui, moi, me fait vibrer ? Je ne sais pas. Mais j’ai l’impression que l’univers sera plus grand lorsque j’aurais franchi mes propres frontières.

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