“Tu ne dis plus rien.” me dit Claire en s’asseyant à côté de moi.
“Tu n’as pas l’air bien. Ca ne va pas ?”
Je secouai la tête.
“Non, ça va. C’est juste… que…”
“Tu devrais être heureux, tu sais. Ce n’est pas donné à tout le monde de voir ce qu’il écrit mis en mouvement, mis en images comme ça. Y a plein de gens qui en crèvent d’envie, qui se saigneraient aux quatre veines pour avoir ça.”
Claire avait toujours cette voix rauque et ce ton enjôleur. Il me faisait frissonner à chaque fois. Elle avait raison. Mille fois raison. J’aurais dû être enjoué, j’aurais dû avoir les larmes aux yeux, noyé par l’émotion. J’aurais dû mais je ne l’étais pas. Je n’étais pas triste. Mais je me sentais vide. Ce que je voyais, me dépossédait de moi-même. Mes émotions, mes tourments, même mes mots et mes paroles ne m’appartenaient plus. Et je venais de le réaliser.
Claire passa sa main dans mes cheveux. J’esquissai un geste pour la stopper et la garder ainsi, mais je ratai mon coup.
J’attrapai une cigarette et l’allumai nerveusement.
“Tu te rends compte quand même… Que c’est ma vie, mon intimité qui se donne en spectacle là ?” lui fis-je.
“Ce n’est pas un texte, ce n’est pas une peinture… Là… C’est l’image et le son… On sent même la chair… Regarde-la…”
“Qui ? Charlotte ?”
“Oui.”
“Bah quoi ? Charlotte ? Elle a quoi ? Charlotte…”
Mes yeux se firent fuyants. Je ne voulais pas croiser le regard de Claire.
“Elle est presque comme elle. Elle est, Elle… Et je ne comprends pas.”
“J’ai du mal à te suivre, tu sais ?”
“Je veux dire… Comment c’est possible ? Comment c’est possible que ça ressemble tant à ce que… à… la réalité…”
Je soupirai.
“Elle fait tout presque comme elle. Dans ses moindres mimiques.”
Claire haussa les épaules.
“Je te rappelle que c’est toi qui l’as choisie et justement pour ces raisons… Tu ne vas pas t’en plaindre maintenant.”
Charlotte était en train de remettre un pull parce qu’il faisait un peu froid. Dans les bruits de conversations et ceux que faisaient les techniciens, elle ne pouvait entendre notre échange. Mais peut-être sentit-elle que l’on parlait d’elle car elle lança un regard dans notre direction avec cette moue indicible, inexpressive et fragile à la fois, indifférente au monde et aux aguets. Ce regard qui me faisait à chaque fois, froid dans le dos, tellement il me rappelait des souvenirs encore chauds.
“Tu devrais aller prendre l’air et laisser la photo à quelqu’un, le temps que ça passe.” me fit Claire.
“Le temps qu’il se passe quoi ?” lui demandai-je.
“Tu crois que c’est un truc de passage… Un coup de mou… ou un truc dans le genre, peut-être… Mais ça n’a rien à voir. Le truc… C’est que c’est déjà dans la boite maintenant… Et qu’à moins d’avoir un monteur avec deux mains gauches… Tout ça… Ca y sera…”
“Et ce n’est pas ce que tu voulais ?” fit Claire en levant les yeux au ciel.
Je secouai la tête. La conversation ne menait à rien. Je me levai en faisant le geste de la main à l’intention de Claire, d’arrêter, et je sortis de la pièce.