Le jour où le matin ne s’est plus levé

La mémoire est imprécise. On ne sait pas comment on est arrivé là. Il y a la fatigue qui alourdit les pensées. On est engourdi de ne pas avoir dormi comme on aurait voulu. Mais on est bien. Comme si tout était en coton. On sent encore le parfum de quelques touches d’alcool, les mêmes qui nous ont permis d’aller sur ce chemin. On se souvient d’un ventre qui se contracte, d’une tête qui se penche en arrière comme électrocutée. On se souvient qu’on ne souvient plus. Que l’impression est ailleurs, au-delà de ce que les neurones peuvent imprimer.

Puis on se souvient qu’on s’en rappelle et qu’on a simplement rêvé.

C’est toujours comme cela que les choses finissent. Comme une carte postale envoyée sur un coup de tête à cet ami improbable chez qui on s’est réfugié un soir et qui nous a laissé dormir à ses côtés contre quelques miettes d’une tendresse arrachée à un moment de désillusion.

Je m’appelais Madeleine mais tout le monde m’appelait Maddy. Ce matin-là, j’ai entrepris de tout écrire l’histoire. Je me suis assise sur le lit avec l’ordinateur portable posé sur le drap et le curseur clignotant devant cette grande page blanche virtuelle. J’avais une grande tasse de café chaud entre les mains que j’ai posée sur la table de chevet lorsque les phrases ont commencé à se composer dans ma tête.

Je ne suis pas douée pour raconter les histoires. Je ne sais déjà pas les vivre, alors, vous voyez bien, ça commence plutôt mal.

Je suis née à Ligny-le-Ribault, une petite commune du Loiret, dans la maison au portail rouge, au numéro 17 de la rue du Prêche, le 7 février 1993. De mon enfance et de mon adolescence, il n’y a pas grand-chose à retenir car je n’ai rien fait de spécial qui vaille qu’on se souvienne de moi. Il paraît que j’ai toujours été une belle gamine. On m’a toujours considérée comme telle. Moi, je n’ai jamais ressenti vraiment cela. C’est vrai que j’étais loin d’être de ces filles qui rasent les murs et avec qui les garçons sortent lorsqu’ils n’ont plus rien à se mettre sous la dent, mais, je n’ai jamais trouvé que cela était un avantage. Bien au contraire. C’est compliqué de s’imposer des contraintes quand il y a toujours un gars pour remplacer le précédent. Et puis, très vite, vous vous demandez bien ce qu’ils peuvent vous trouver. Ce qu’ils cherchent aussi.

A partir de la première au lycée, j’ai commencé à sortir avec Paul. C’était le fils du voisin d’en face de chez moi. Un ami d’enfance. On se connaissait presque par cœur alors avec lui, tout était facile. Et puis Paul, c’était le genre de mec qui vous met sur un piédestal et vous permet tout. Même les pires bêtises. Cela donne une relation plutôt chaotique entremêlée à de l’intime puisqu’il connaît votre famille parfois mieux que vous. Et puis, vous grandissez un peu et vous vous révoltez contre ça.

Après mon BTS, j’ai été embauchée pour écrire quelques articles dans le journal local. C’était sympathique au début, tout le temps où j’ai cru qu’on me demandait cela parce qu’on croyait en moi et un certain talent de plume. On a même sabré le champagne un soir pour un article qui avait couvert une sordide histoire de meurtre passionnel. C’est ce même soir que j’ai commencé à sortir avec David, le rédacteur en chef. Il n’y avait rien de prémédité de ma part, juste une légère attirance et l’alcool pour aider. Cela n’a pas duré très longtemps : à peine trois mois. Juste le temps qu’il m’emmène à Venise et que notre relation tombe à l’eau pour Elise, la suivante sur sa liste. Je n’ai même pas pleuré ce soir-là car je crois que je savais très bien que le conte était trop beau. Au lieu de cela, j’ai appelé Denis, un mec avec qui j’avais échangé nos numéros lors d’une soirée dans un bar à Orléans. Je l’aimais bien et il me faisait rire avec son air un peu gauche.

Comptable, c’était sa profession mais il écrivait des livres et de la poésie et moi, j’adorais lire ses mots. J’avais l’impression que je ne connaissais rien de la vie avec ces récits. Il m’assurait que la plupart des choses qu’il racontait était issu de ses expériences personnelles mais moi, je trouvais cela improbable et pourtant je m’en fichais. J’aurais fait n’importe quoi pendant cette période pour passer une nuit entière, emmêlée à lui et à le bombarder de questions. Et lui, il me répondait sans tricher. Il n’a jamais simulé son attachement au sens propre comme au sens figuré.

Au bout d’une semaine avec lui, Paul est revenu et je n’ai pas su quoi faire. Il me connaissait et savait toutes les ficelles pour me faire tomber. Et je suis tombée. Je n’ai rien dit à Denis, pas tout de suite. Je crois que je me suis dit que c’était une phase de transition ou bien un truc comme ça. Et je dois dire aussi que l’idée me plaisait aussi. J’avais l’impression pour la première fois de ma vie de transgresser une sorte d’interdit. Mais ce n’est pas facile de tenir le mensonge. La double-vie ne peut tenir que si les deux parties sont étanches et là, elles ne l’étaient pas.

J’ai dû avouer la chose à Denis au bout d’un mois. Je lui ai expliqué qui était Paul. Denis m’a simplement dit qu’il comprenait et qu’il avait confiance en moi. Je n’ai pas su quoi lui répondre. Je l’ai simplement embrassé et fait en sorte qu’il m’attire à lui. Je ne suis pas rentrée chez moi où Paul m’attendait. Ce fut la première nuit de toutes celles qui ont suivi, excepté le week-end.

Aujourd’hui, cela faisait six semaines et ce jour-là où j’ai eu envie d’écrire, c’était samedi. Sous le drap, Denis dormait encore. Moi, je venais de sortir de la salle de bain. Et dans la poubelle de la cuisine, il y avait un test de grossesse positif.

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