A ses côtés [reprise] (2)

Novembre 2005

C’était à la pause café de dix heures. Au boulot. Ce n’était pas la première fois que je la croisais mais ce fut réellement la première fois que nous avons échangé quelques mots. Je reconnais que je n’ai pas vraiment été très doué, ce jour-là. J’ai même été plutôt maladroit. Mais si je peux plaider pour ma défense pour ainsi dire, je crois que je n’ai jamais été réputé pour mon aisance à entamer une conversation. Surtout quand la personne à qui j’adresse la parole me déstabilise un peu. Ca remonte sûrement à la petite enfance et à la première fois où j’ai essayé de dire mes sentiments à une fille en même temps que j’ai essayé de l’embrasser. C’était un peu désordonné et sûrement un peu effrayant. J’ai toujours brûlé les étapes car pour moi, le temps n’existe pas. C’est sûrement dû aussi au fait que je n’avais jamais connu vraiment d’échec en tant que tel, enfin rien qui ne tenait exclusivement à moi et à mes façons de faire. Et puis, j’ai toujours eu du mal à rester sérieux. Le fait d’être sérieux me rend terne et j’ai cette tendance à prononcer le caractère dramatique voire tragique des choses. Ce n’est pas que je me prenne au sérieux au sens strict du terme, mais quand certaines situations me touchent de près, je ne sais pas être spontané. Cela sort sans être rangé, sans réflexion préalable et cela peut apparaître aux yeux de l’autre comme une agression. Un peu comme si je ne savais pas me maîtriser. Et c’est sûrement un peu vrai.

Elle était devant moi en train de boire son café, tenant son verre d’une main et sa cigarette de l’autre. Elle n’était pas accompagnée de sa collègue comme d’ordinaire et moi, je la regardais, un peu avec insistance. Je ne sais pas dire ce que mes yeux peuvent provoquer comme gêne mais elle me lança un regard de travers, à la fois un peu intimidé et surtout plein de reproches. Elle finit par faire un geste un peu brusque…

– Oh non !…

– Qu’est-ce qu’il se passe ?

– Ben, j’ai renversé mon café et j’ai tâché ma robe…

– Ce n’est pas bien grave… m’a-t-il dit en me tendant un mouchoir en papier.

– Ce n’est pas bien grave ?

– Oh, non… C’est pas ce que je voulais dire. C’est juste que cette robe est moins belle que celle de la semaine dernière.

– Ah oui ?

Elle a souri.

– Je me pose une question… Quel genre de mec est capable de retenir la tenue d’une fille qu’il rencontre à la machine à café, peut-être une fois par semaine et ce n’est même pas sûr.

– Quel genre de mec… Je ne sais pas. Mais moi, ça m’arrive tout le temps. Sûrement qu’il existe un traitement psychiatrique mais on ne m’a jamais diagnostiqué jusqu’à maintenant.

– Tu es bête…

– Je sais.

– Faut que… J’y aille…

– Oui… Faut bien qu’une pause ait une fin. A un moment donné…

– Oui, c’est sûrement ça… A… A un de ces jours ?

– C’est ça… Ou à demain, on ne sait jamais… Avec un peu de chance.

Elle s’est éclipsée en un clin d’oeil. Elle m’a laissé devant cette machine à café avec une drôle d’impression. J’ignorais ce que cela pouvait être à l’époque mais lentement, l’idée de le revoir allait faire son chemin dans ma tête et cela même, si j’ai pu le nier au cours des semaines qui ont suivi. Je suis sorti de la pièce après avoir écrasé mon mégot et avec une seule pensée un peu bizarre en tête. Je ne savais même pas comment elle pouvait s’appeler, ni même ce qu’elle faisait. Nous étions dans la même boîte et moi, cela faisait pourtant plus cinq ans que j’y étais. Je ne savais pas son nom et cela me paraissait complètement improbable.

[…]

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