Déjà-vu

Saint-Lazare, train direction Saint-Cloud, 19h20.

Je me place dans le dernier wagon… C’est tactique. Pour éviter de retraverser tout le quai quand je descendrai à ma station. Je téléphone en même temps : un petit point boulot. Pas crucial, juste utile. On n’a pas le temps d’échanger le reste du temps. On passe notre temps à se croiser.
Le train se met en marche, il accélère et il va commencer à tanguer sur les aiguillages. Cela dépend du conducteur, les vagues sont plus ou moins fortes. Le coefficient de la marée devait être plus élevé ce soir.
J’ai une petite main qui frôle mon épaule et un visage qui frôle le mien. Je lève les yeux vers leur propriétaire et je la retiens par la taille, par réflexe. Je ne réfléchis jamais à mes gestes dans ce genre de cas. Je ne prévois jamais qu’on puisse leur donner une signification autre que celle de la nécessité et d’une action de simple bon sens.
Nos regards se croisent. Je lui donne un sourire et elle me le rend, avec une touche de gêne évidente. Je comprends… Mais bon…Je n’allais pas la laisser tomber à la renverse parterre.
Je soutiens son regard et elle finit par le détourner. Elle fuit.
Je ne peux m’empêcher de la photographier dans ma mémoire en même temps que je continue ma conversation téléphonique. Elle ressemble à une ex. La chose me traverse l’esprit. Je la rebalaie du regard pour être sûr. Oui. Non. Il n’y a pas que cela.
Je ferme les yeux. Je continue à répondre et à parler mais mon esprit ailleurs. Je sens son odeur. L’odeur de cette inconnue. La même empreinte olfactive. Parfum et peau. Je réouvre les yeux. Il faut que je la regarde encore. Nos regards se croisent à nouveau. Echange de sourires un peu niais qui traduisent l’espérance déçue que chacun ne poserait pas les yeux sur l’autre au même instant.
Le train s’arrête. Le mastodonte derrière elle veut sortir. Je me décale pour la laisser se glisser près de moi et éviter de se faire aplatir par l’autre qui ne sent rien. Elle me remercie d’un signe de tête. Elle sort son téléphone et tape un message fébrilement. Elle lève un oeil toutes les dix secondes. Je range mon téléphone dans ma poche. La communication a été coupée. Le train repart.
Je n’ai plus que trois minutes. Mon arrêt est le suivant. Je n’ai plus que trois minutes… Je ne sais pas bien pourquoi… Je le ressens comme une urgence. Ca n’a aucun sens. Je secoue la tête. Je suis troublé. Elle lui ressemble. Elle a le même âge…
Et je m’arrête là-dessus. Je souris. Elle a le “même âge”… C’est bien ça le problème… C’est que ça, c’était, il y a plus d’une dizaine d’années… Elle a même âge de l’époque.
Le train s’arrête. C’est mon arrêt. Je lui jette un dernier regard. Je la remercie d’un signe de tête mais elle, elle ne comprend pas pourquoi. Mais c’est pas grave.
Je m’allume une clope et me perds dans mes souvenirs. Ca fait du bien de voir qu’il reste un peu de marshmallow dessous la cuirasse qu’on s’est forgé. Ca fait du bien même si la morale ordinaire réprouve d’avoir eu un instant ces pensées.

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