On n’sait jamais (avec Caelie)

Odeurs boisées. Les mains jointes. Il y a un ruisseau, perdu, dans la vallée. Et nous buvons. Nous buvons à en perdre la tête.

Il y a ces moments inachevés qui virevoltent parmi les feuilles d’automne avec une couleur de terre.

Nous bernons le soleil et ses nuages comme si demain n’existait pas, et je n’ai qu’un léger pull sur les épaules. Mais maillé par tes soins, il m’enveloppe à merveille.

Odeurs boisées, sous tes cheveux, sous tes paumes pressées contre mes joues.

Il y a la lune. Il y a les pavés.Des fleurs, n’en reste qu’une,
celle qui s’est accrochée.Celle à l’odeur des rancunes,
celle qu’on voudrait incendier.

Elle est la dernière trace d’une guerre où nous n’avons jamais mis les pieds. On le sait. Ce n’est pas cela qui nous fera reculer.

J’ai le regard d’hier qui s’empêtre dans le fouillis de mes demains.
A deux doigts de ton être, et à te prendre à deux mains.

J’ai des lettres à l’aurore que je n’ai pas envoyées. Je ne veux pas faire l’effort car je veux encore croire, ne serait-ce un instant, qu’à une encablure de ton port, j’ai le droit d’oublier.

D’oublier le reste du monde, d’être juste là, avec toi et la rivière à nos côtés.

Nous rentrons bientôt. La maison n’est pas loin. Nous avons notre chambre au premier. Un écrin de poussière est posé sur la table de chevet.

Il y a des photos. De belles photos. De vieilles photos.

J’aurais voulu oublier le reste du monde beaucoup plus tôt. Faut-il croiser ses doigts de pied pour espérer un peu plus qu’une simple pluie d’étoiles un soir d’été ?

J’ai peur d’oublier, sais-tu, que l’aurore est jolie quand elle disparaît doucement. Et je ne veux pas disparaître.

Encadre-moi. Peins-moi ton ciel sur les hanches, que je te porte quelque part.

A naître de l’esquive, un jour nous serons rois. Rois de cette autre rive où il était une fois… Un conte où les lascives écrivent même leur loi, qu’elles portent dans des missives, à l’autre bout d’un toi que je cherche dans l’ombre derrière moi.

Nous serons heureux. Incapables de savoir pourquoi ni comment, mais nous le serons.

Le jour ou la nuit, séparés ou bien ensemble, nous ne serons jamais bien loin l’un de l’autre.

Il y a des gens qui raconteront que ce qu’on aura vécu n’était qu’une amourette parce qu’ils comptent les heures comme des minutes et les mois comme les heures. Ils croient que le temps est un fil qui avance à une allure constante quoiqu’on fasse, quoiqu’on vive et quoiqu’on pense. Alors que rien ne lasse et que le tout ressasse le flanc de la rivière, la branche du buisson et le soleil d’été sur ta robe bonbon. Même l’odeur rappellera la sueur qui le long de ton cou, perle avant son rendez-vous, la fragrance des fleurs renversées sur le sol au milieu de nos bouts, dans les vagues des draps.

Fermer les yeux. Je ne veux que fermer les yeux et sentir tes mains dans ce cou si anxieux.

Je me tairai, bien sûr, malgré tous ces mots qui frapperont ma langue dans l’espoir de s’envoler vers ton regard.

Je me tairai, car mes pupilles voudront te dire bien plus encore.
Que l’instant soit rompu par des paroles de trop, celles de tous ces gens qui ne nous connaissent pas, peu m’importe, c’est à tes mains que ma mémoire écrit de vraies pétales. Elles vivent l’histoire comme nous la contions. Prends mon bras. Ils nous restent un peu de temps avant, tu sais …

Les cerisiers seront bientôt en fleurs.

Je me tais. Je nous laisse un silence, un soupir, une respiration.
Tu me tournes le dos et je sens bien ton regard qui voit plus loin que l’aplat impeccable du mur qu’il contemple.

Je devine ce sourire qui s’étale sur tes lèvres, la fossette resquilleuse se moquant de mes mains baladeuses qui traînent à la lagune désœuvrée.

Tu ne me demandes pas si je suis bien. Tu le sais. A la manière dont mes doigts te frôlent et provoquent cette chair de poule qui te fait frissonner. Je te connais par cœur même sur ces terres que je n’ai jamais explorées. Je me perdrai sûrement en chemin mais je saurai encore où il me faut aller.

Tu es mon parchemin et ma langue étrangère. Mon voyage au lointain.
Donne-moi ton plan de vol, le nom de tes escales que je puisse tracer cette ligne improbable le long de tes contrées avant que notre petite mort nous dise que l’aube s’est levée.

Caelie & Tilou

avril-mai 2012

(publication originale sur LPDP : ici)

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